21/11/2014


Rétrécir Dieu : funeste tentation !  



Dans son discours de clôture de la première partie du synode consacré à la famille, où l’on a vu se manifester  certaines attitudes de blocage de la part de hauts personnages de l’Eglise avant même que le débat soit ouvert, le Pape François a pointé cinq tentations à l’adresse des acteurs de cette assemblée. J’ai plus particulièrement retenu la cinquième car elle me paraît être à la racine de toutes les autres et elle nous concerne tous.

 Cinquième tentation « La tentation de négliger le depositum fidei
 (ndlr : le dépôt de la foi) en se considérant non comme les gardiens mais les propriétaires et les maîtres ou, d’autre part, la tentation de négliger la réalité en utilisant une langue minutieuse et un langage pour dire tant de choses et ne rien dire.Nous appelons "byzantinisme" je crois, ces choses. »

Notons au passage l’emploi du verbe négliger qui prend à revers ceux qui justement accusent les autres de brader la doctrine.

« Bien dire Dieu »

Qui n’a pas cédé à la facilité de prêter à Dieu ses idées et sa parole en affirmant péremptoirement :« C’est la volonté de Dieu » « Jésus a dit que…C’est ainsi qu’Il a fait et qu’il faut faire…» Ce faisant, non seulement nous enfermons Dieu dans des mots à géométrie humaine mais nous l’exposons à devenir l’enjeu de nos controverses conceptuelles ou idéologiques dont Il ne peut que sortir défiguré aux yeux de ceux qui le cherchent « en vérité ».

C’est justement ce mot « vérité » qui vient nous piéger. En établissant une équivalence entre elle et Dieu, nous lui attribuons une sorte d’éternité (les vérités éternelles !) et il suffit de franchir un pas de plus pour  rendre son expression elle-même immuable et comme revêtue d’un caractère sacré. Nous tombons, alors, dans la tentation d’enfermer Dieu dans nos catégories humaines. « Nous n’avons jamais la vérité, dans le meilleur des cas c’est elle qui nous a » répondait Benoît XVI à son interlocuteur dans
 « Lumière du monde » (1). 

Et si Dieu était justement Celui qui vient faire éclater tous nos concepts les plus élaborés et nos certitudes les plus assurées !
Rappelons-nous la prudence des premiers chrétiens qui ont donné leur label à quatre évangélistes et non à un seul  se contentant d’évangiles selon tel ou tel, chacun laissant l’espace libre à d’autres variantes. Rappelons encore le réflexe lourd de signification de nos frères aînés, les Juifs, qui refusent de prononcer le Nom donné à Moïse sur le Sinaï.

 St Justin, à son tour, s’interrogeait sur le mot même de Dieu:
« …personne n’est capable d’attribuer un nom au Dieu qui est au-dessus de toute parole, et si quelqu’un ose prétendre qu’il en a un, il est atteint d’une folie mortelle. Ces mots : Père, Dieu, Créateur, Seigneur et Maître ne sont pas des noms, mais des appellations motivées par ses bienfaits et par ses œuvres. Le mot Dieu n’est pas un nom, mais une approximation naturelle à l’homme pour désigner une chose inexplicable. »

Nul n’est propriétaire du « bien dire Dieu » ou du dépôt de la Foi.

 Vous me direz : « Mais que faites-vous des dogmes » ? Les dogmes ont souvent été donnés à l’Eglise à la suite de déviations comme des balises à respecter pour ne pas quitter le chemin de la Foi. Ainsi, jouent-ils justement le rôle de gardiens. En outre, leur vocabulaire est marqué par la culture et le contexte historique de leur époque comme le faisait remarquer le Père Congar 

« Un peu de sens historique permet en effet de résoudre une difficulté qu’on entend souvent exprimer. Si l’Eglise, dit-on, supprime un interdit qu’elle a porté autrefois, c’est qu’elle s’est trompée alors… L’objection pèche en ceci qu’elle retire les actes de l’Eglise à l’histoire et à ses conditionnements pour les placer dans un en-soi de vérité intemporel, sans père ni mère, sans contexte et sans humanité. »(2).

Faut-il pour autant en revenir à la position des apophatiques qui opposaient un silence précautionneux à tout discours sur Dieu ? Ce serait faire fi du désir irrépressible de celui qui veut toujours mieux connaître Celui qu’il aime. C’est pourquoi le théologien remet sans cesse les mêmes questions à l’ouvrage afin que le dépôt de la Foi, évitant les impasses, continue son chemin et se développe pour rejoindre nos contemporains.  Mais alors, la doctrine éprouvée tomberait-elle sous la loi du changement ?

St Vincent de Lérins, déjà au 5ème siècle, employait l’image de la croissance du corps humain pour expliquer comment le dépôt de la Foi croît tout en restant lui-même.

Ce qui est dit des réalités divines peut être dit aussi des réalités humaines et de la réalité tout court. A trop vouloir les saisir dans leur complexité, on tombe dans un stérile
 « byzantinisme » conceptuel. Ce que les mots échouent à dire, le geste, le regard, l’art, le symbole y parviennent parfois. « Marche en ma présence » demandait Dieu déjà à Abraham en guise de déclaration de Foi.
Ce n’est pas sur les résultats d’un concours de vérité ou de doctrine que Jésus a recruté ses disciples. Mais comme le mot l’indique, c’est sur un appel à le suivreQue d’escarmouches stériles pourrions nous éviter si nous laissions notre Foi s’exposer davantage par le témoignage de notre vie que par l’exactitude de ses énoncés. C’est en Le suivant que les douze ont découvert sa vivante vérité marchant vers le don total de lui-même en « obéissance » aimante au Père (3).

Bien faire comme Dieu.

Pour suivre comment faire?
La tentation est forte de se croire également propriétaire du « bien faire comme Dieu ».
 L’exemple le plus flagrant est celui de la Liturgie. Qui fait bien comme le Christ à la cène ? Le copte, l’orthodoxe, le catholique ? Quel est le bon modèle, le définitif, le vrai ? La fraction du pain dans les catacombes, la messe sur le monde de Teilhard, celle de l’ermite dans son désert, celle des pontifes de la renaissance, celle des prisonniers dans les stalags ? Ici, aussi, traditions, cultures et histoire sont des vecteurs certes incontournables mais insuffisants pour « faire comme Dieu » ?
Et pourtant Dieu nous a bien donné une pensée et des mots pour transmettre le dépôt de la Foi. Il nous a donné une liberté pour orienter notre  vie. Il faut bien parler et agir et en cela nous avons la chance de pouvoir collaborer à l’action de Dieu sur le monde. Quel guide prendre pour « dire Dieu » et pour « faire comme Lui » sans commettre une forfaiture ? Il s’agit tout simplement de se laisser conduire par l’Eglise quand, tout entière, elle quitte les autoroutes confortables de la répétition pour suivre en balbutiant le Verbe qui se dévoile à elle en lui ouvrant le  chemin étroit. Car c’est bien en avançant vers sa Pâque et non en s’installant sur le Tabor que le Christ a dit tout ce qu’Il était.

L’auteur du quatrième évangile avait compris tout cela quand il retenait que Jésus avait déclaré être  « le chemin, la vérité et la vie », les trois en même temps et les trois en mouvement…comme les trois aimantés, mouvants et inépuisables de la Trinité.

(1) Benoît XVI « Lumière du monde » Bayard 2010 page 75
(2)«  Notre Foi » Beauchesne 1967 et le cardinal Renard d’ajouter dans ce même ouvrage:
« Le mot porte une pensée qui lui est comme intégrée ;c’est pourquoi l’Eglise répugne à recourir à d’autres termes, en même temps qu’elle cherche des expressions adéquates pour mieux faire comprendre sa doctrine… » « …il faut se garder de manier des mots comme si on maniait les réalités divines elles-mêmes: un mot, même le plus juste, n’enserre jamais toute la richesse qu’il exprime : c’est un peu comme un rayon de soleil dans un cristal. Certes, c’est un vrai rayon de soleil mais personne ne prétendra que le rayon dans un cristal est le soleil lui-même »
 « Notre Foi » ibid pge 88, 89.
(3) C’est ce qu’exprime  Urs Von Balthasar dans son livre « La Foi du Christ » à propos de la suite de Jésus 
«… pour le moment il ne s’agit pas de présenter quelque chose à croire, mais seulement d’une invitation à entrer dans le mouvement de la Foi d’Israël et de sa marche à la suite de Dieu, et il faut d’abord répondre à cette invitation pour découvrir que Jésus en est capable et l’homme incapable »  Page 132 ed. du Cerf 1994 
                                                                                                                 (Abbé Jean Casanave)
                                                                                                         

05/11/2014




LA fête de la Toussaint

Homélie de M. l'abbé Daniel Décha

                                                                              

La fête de la Toussaint rassemble dans le monde entier de très nombreux chrétiens. 
Cette fête est inscrite de longue date dans le calendrier liturgique. Elle est incontournable. 

Elle était célébrée le premier dimanche après la Pentecôte. 
Elle fut ensuite transférée au 1er  novembre.
 Le 13 mai 610, le pape Boniface IV transforma en église le Panthéon romain qu’il dédia à Marie et aux Martyrs et fit de ce jour la fête de tous les saints. 
En 835, le pape Grégoire IV fit promulguer par l’empereur d’Occident Louis le Pieux un décret qui fixait la fête de tous les saints à la date du 1er novembre. A partir de ce moment, cette célébration devint rapidement dans toute l’Europe latine, une solennité commune et la fête du 13 mai disparut.

Il est vrai la société sécularisée pense plutôt aux vacances et depuis une dizaine d’années un courant venant des Etats Unis se répand et masque le sens de cette fête… les enfants se déguisent en trompe la mort ; ils revêtent des habits sombres bien ténébreux et, accompagnés souvent de leurs parents, quémandent des bonbons aux portes des maisons. La perte du sens de cette fête affecte certains enfants qui gardent une image autre de la sainteté dont nous parle l’Église.

Ayant remis en lumière l’histoire de la Toussaint quelque peu bousculée par de nouveaux courants de pensée, que peut-on dire de cette fête ?

La fête de tous les saints appelle de nombreux croyants ou en recherche à manifester leur communion avec tous celles et ceux qui nous ont précédés. Connus ou inconnus du calendrier liturgique, leur vie a été considérée comme particulièrement sainte. Par toute leur vie, ils ont manifesté leur attachement à Jésus-Christ ; ils ont vécu l’esprit des Béatitudes. Artisans de paix, doux et humbles de cœur, miséricordieux, persécutés pour le nom de Jésus, comme ces chrétiens dont nous parle notre évêque à son retour d’un séjour en Irak. Avec un membre de la communauté chaldéenne de Pau, il a communié à leur souffrance : persécutés au nom du Christ, ils gardent leur foi vive et lumineuse.

Les saints et les saintes sont les amis de Jésus.
Nous portons leurs prénoms ; ils demeurent vivants auprès de nous et participent à la prière de l’église. Ils prient avec nous, ils prient pour nous.
Leur présence stimule notre vie chrétienne.

Ils prient pour nous : c’est ce que nous appelons la communion des saints. La communion des saints est vivifiée par l’eucharistie. Cette communion se réalise pleinement au cours de l’eucharistie. L’Église du ciel triomphante s’unit à l’Église pérégrinante dont nous faisons partie. L’Eglise est le lieu de la rencontre et de la communion entre les disciples du Christ.

Le livre de l’Apocalypse nous en fait part. C’est la vision de l’apôtre Jean « j’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l'Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main. Et ils proclamaient d'une voix forte : « Le salut est donné par notre Dieu, lui qui siège sur le Trône, et par l'Agneau ! »

Loin de s’éloigner de nos préoccupations, de nos soucis terrestres, ils intercèdent pour  nous. Ils facilitent notre vie quotidienne, sans pour autant réaliser ce que nous avons à faire ou à dire. Ils n’agissent pas à notre place, ils ne parlent pas à notre place.

Cette solennité «nous met devant les yeux la foule immense des rachetés, pour nous dévoiler l’avenir vers lequel nous sommes en marche». Elle nous rend aussi conscients de «notre solidarité avec ceux qui nous ont précédés dans le monde invisible. Vivant près de Dieu, ils intercèdent pour nous ; ils sont des puissances dans nos vies». (d’après le missel romain fête de la Toussaint)

Frères et sœurs, bien-aimés en Jésus Christ, vous qui participez à cette fête religieuse, devenez ce que vous recevez. Tous nous sommes appelés à la sainteté. La sainteté n’est pas réservée à une élite, à des personnalités que l’église met en lumière lors des béatifications comme celle du pape Paul VI ou lors des canonisations comme celles de saint Jean XXIII et de saint Jean-Paul II, la sainteté est le chemin que tous les chrétiens doivent prendre avec tous les hommes et les femmes de bonne volonté.