29/12/2014


NOËL

« Voici que je vous an­nonce une bonne nou­velle, qui sera une grande joie pour tout le peu­ple : au­jourd’hui, dans la ville de Da­vid, vous est né un Sau­veur qui est le Christ, le Sei­gneur » (Lc 2, 10-11).

Beau­coup sem­blent avoir ou­blié la si­gni­fi­ca­tion pro­fonde de la fête de Noël, dont l’éty­mo­lo­gie et l’his­toire évo­quent pré­ci­sé­ment la nais­sance de Jé­sus. On parle plus vo­lon­tiers de fê­tes de fin d’an­née, comme si l’évé­ne­ment que nous com­mé­mo­rons n’avait pas pro­fon­dé­ment mar­qué no­tre his­toire et comme si les Noëls re­li­gieux de no­tre en­fance n’étaient plus gra­vés dans les mé­moi­res. Il suf­fit de cons­ta­ter l’af­fluence re­cord dans nos égli­ses, en par­ti­cu­lier pour les mes­ses de la nuit, pour vé­ri­fier le puis­sant at­trait que Noël con­ti­nue d’exer­cer. Quand au nom de la laï­ci­té, on en vient même à ban­nir les crè­ches des lieux pu­blics, on n’ex­pose pas seu­le­ment les Ins­ti­tu­tions de l’Etat au ri­di­cule, mais on ré­pète sans le sa­voir le ré­cit même de l’Evan­gile qui con­ti­nue : 
« Marie mit au monde son fils pre­mier-né ; elle l’em­maillo­ta et le cou­cha dans une man­geoire – c’est-à-dire une crè­che –, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle com­mune » (Lc 2, 7).

Une so­cié­té sans mé­moire est une so­cié­té sans ave­nir. Le Pape Fran­çois l’a rap­pe­lé de­vant l’as­sem­blée du Con­seil des con­fé­ren­ces épis­co­pa­les d’Eu­rope :
 « Europe, re­viens à Jé­sus ! Re­viens à ce Jé­sus dont tu as dit qu’il n’était pas dans tes ra­ci­nes ».

Jé­sus est né dans une fa­mille ! Cet évé­ne­ment jette une grande lu­mière sur la vo­ca­tion et la mis­sion de toute fa­mille. Et la mis­sion de la fa­mille, c’est « d’accueillir Jé­sus, de l'écou­ter, de par­ler avec Lui, de le pro­té­ger, de gran­dir avec Lui; et ain­si de ren­dre le monde meilleur » (Pape Fran­çois). Une fa­mille qui prie de­meure unie ! Et cela est vrai aus­si de no­tre fa­mille dio­cé­saine : ne lais­sons pas le « Diviseur » bles­ser no­tre uni­té et ac­cueillons en­sem­ble le « Prince de la Paix », en priant à la crè­che les uns pour les au­tres !

On ra­conte que lors de la grande guerre de 1914, dont on com­mé­more cette an­née le cen­te­naire, il ne man­qua pas de chré­tiens, de part et d’au­tre du front, pour sus­pen­dre les com­bats san­glants le temps de la nuit et du jour de Noël. Au­jourd’hui, il est fort à ga­ger qu’il n’y aura pas de Trêve de Noël pour tout le monde : tant de nos con­ci­toyens vont vi­vre cette fête dans la so­li­tude, qui, au dire du Pape Fran­çois, est une des ma­la­dies les plus ré­pan­dues en Eu­rope et qui tou­che tant les per­son­nes âgées sou­vent aban­don­nées à leur des­tin, que les jeu­nes en quête d’ave­nir et de sens, que les pau­vres tou­jours plus nom­breux qui peu­plent nos vil­les et les mi­grants ve­nus chez nous pour fuir une si­tua­tion si peu en­via­ble.
Com­ment ne pas avoir une pen­sée pleine d’af­fec­tion pour les chré­tiens dé­pla­cés et per­sé­cu­tés d’Irak et de Sy­rie ? Com­bien de fa­milles, que j’ai vi­si­tées à Er­bil, vi­vront ce Noël sous la tente, re­joints par la froi­deur de l’hi­ver ira­kien, parce qu’el­les ont été chas­sées de leur vil­la­ges et de leurs mai­sons, iden­ti­fiés à Jé­sus nais­sant dans une éta­ble et pre­nant le che­min de l’exil pour échap­per à la cruau­té d’Hé­rode ? Et le Noël de so­li­tude qui tra­verse la Sy­rie ? Comme nous l’écrit un évê­que de­puis Da­mas : 
« Nos fi­dè­les pas­sent la fête de Noël dans le froid gla­cial de leurs crè­ches do­mes­ti­ques, s’ap­puyant sur la cha­leur de leur foi sous le re­gard at­ten­dri de la Sainte fa­mille ».

Il en fau­drait au­jourd’hui des « Père Ces­tac », le fu­tur bien­heu­reux de Bayonne, qui des­cen­dit dans la rue pour se­cou­rir les or­phe­li­nes et re­cueillir les pros­ti­tuées. Je ne doute pas que ce Noël 2014 ver­ra beau­coup d’en­tre nous s’at­ta­cher à pren­dre soin con­crè­te­ment de la fra­gi­li­té de leurs frè­res, de­puis la con­cep­tion jus­qu’à la fin de vie où la di­gni­té de la per­sonne hu­maine est tel­le­ment me­na­cée. Soyons de ceux-là, avec la grâce de Dieu !

Saint et joyeux Noël à tous !


† Mgr Marc Aillet, évê­que de Bayonne, Les­car et Olo­ron

22/12/2014


Edi­to­rial de «Fa­mille Chré­tienne» écrit par Ay­me­ric Pour­baix

«Di­tes, si c’était vrai?

 s’ex­cla­mait Jac­ques Brel en 1958. S’il était né vrai­ment à Bethlé­em dans une éta­ble? […] C’est tel­le­ment beau, tout cela, quand on croit que c’est vrai.»

L’in­ter­ro­ga­tion du poète, qui lui va­lut le sur­nom de « l’ab­bé Brel », ca­rac­té­rise as­sez jus­te­ment no­tre épo­que, prise en­tre le dé­sir de croire pour ré­pon­dre à son vide spi­ri­tuel, et d’au­tre part le doute et la cri­ti­que à l’égard de l’Église, in­tro­duits par les phi­lo­so­phes du soup­çon – Freud, Nietzsche et Marx. Ces trois-là, avec d’au­tres, ont exal­té chez l’homme ses pul­sions, sa force et son ac­tion ma­té­rielle, mais tou­jours au dé­tri­ment de son âme. Culte de l’homme qui re­pro­duit l’an­ti­que ten­ta­tion du Ser­pent d’être «comme des dieux» (Gn 3, 5), de pren­dre la place de Dieu jus­qu’à s’ap­pro­prier l’ul­time pou­voir : ce­lui sur la mort, comme le font au­jourd’hui les par­ti­sans de l’eu­tha­na­sie.

Cette vo­lon­té or­gueilleuse, on la re­trouve dans un ar­gu­ment uti­li­sé par un édi­to­ria­liste fa­vo­ra­ble au sui­cide as­sis­té, se­lon qui choi­sir le mo­ment de sa mort «ne peut pas être une faute» pour un ca­tho­li­que qui veut al­ler à Dieu (L’Ex­press, 10  dé­cem­bre). Af­fir­ma­tion qui ne peut res­ter sans ré­ponse, car elle tou­che au cœur de l’exis­tence : qui dé­cide de ma mort, donc de ma vie ? Dieu, ou moi-même ?

Aux hom­mes ten­tés de se faire dieu,
Noël op­pose un Tout-Puis­sant qui s’abaisse.
C’est pré­ci­sé­ment pour ré­pon­dre à cette ques­tion, ce qu’au­cune loi ne pour­ra faire, qu’il nous faut re­dé­cou­vrir cha­que an­née l’émer­veille­ment po­pu­laire de cette sainte nuit de Noël. Faite d’ad­mi­ra­tion, de gra­ti­tude, de sim­pli­ci­té, de con­so­la­tion, elle est même le par­fait an­ti­dote : à l’homme qui veut s’éle­ver par ses pro­pres for­ces, elle op­pose la toute-puis­sance d’un Dieu qui s’abaisse. Qui naît dans une pau­vre bour­gade de Ju­dée, et pas à Rome, à Athè­nes ou à Jé­ru­sa­lem.

Pa­ra­doxes ver­ti­gi­neux d’un Dieu fait homme, et qui ne se ré­sol­vent qu’en af­fir­mant le pri­mat de la grâce. « Croyez-vous que Jé­sus Christ ait be­soin de la san­té, de l’in­tel­li­gence, de la vi­gueur des hom­mes pour opé­rer ? », écri­vait à un ami ma­lade le Père Hen­ri Dif­fi­né, un des meilleurs con­fes­seurs pa­ri­siens du dé­but du XXe ­siècle. « Ma grâce te suf­fit », af­fir­mait déjà saint Paul (2 Cor, 12, 9). Mys­tère qui fas­ci­ne­ra les ber­gers, mais aus­si les plus grands es­prits qui sau­ront se re­con­naî­tre hum­ble­ment dé­pen­dants, comme Pas­cal lors de sa fa­meuse «nuit de feu», nuit mys­ti­que de 1654, où il af­fir­me­ra re­non­cer au Dieu «des phi­lo­so­phes et des sa­vants».
À tout pren­dre, la dis­tance res­pec­tueuse du poète de­vant le mys­tère, celle d’un Jac­ques Brel, est donc un ter­rain plus fa­vo­ra­ble pour l’évan­gé­li­sa­tion. À con­di­tion de faire en­ten­dre haut et fort la ré­ponse, celle qui fut don­née par Paul Clau­del, lors de sa con­ver­sion, à Noël 1886 :
«C’est vrai! Dieu existe, Il est là! C’est Quel­qu’un, c’est un être aus­si per­son­nel que moi! Il m’aime, Il m’ap­pelle!» 
Joyeux Noël !

21/12/2014

Bergers branchés.             (Abbé Jean Casanave)

Un jeune curé parisien « high tech » se présentait récemment à un groupe de chrétiens «provinciaux.» Il leur expliquait que la « gestion » actuelle d’une paroisse n’avait rien à voir avec l’amateurisme plus ou moins éclairé qui régnait jusqu’ici dans la conduite de ce genre de communauté humaine. Il était, de fait,  à la tête d’une petite entreprise et il avait dû participer à un stage qu’un certain nombre de spécialistes « très pointus » avaient proposé à de jeunes prêtres comme lui, en vue de les initier aux méthodes du management moderne. Le curé d’une paroisse importante doit, en effet, maîtriser la communication et l’image, savoir gérer les ressources humaines comme un bon DRH, suivre de près les questions financières, salariales et comptables, savoir faire appel à des « coaches » pour optimiser les résultats etc.

Après cette brillante démonstration à laquelle j’assistais, je m’apprêtais à rejoindre la caisse des vieux outils périmés que l’on garde pour une décoration possible, lorsque je suis passé devant la crèche de l’église où avait lieu cette conversation. Les bergers et les moutons étaient en place en attendant les mages qui avaient encore du chemin à parcourir. Même si le décor n’a rien à voir avec le caravansérail qui, à l’époque de Jésus, servait à abriter bêtes et gens, la présence de ces santons m’a remis en mémoire une phrase de notre Pape demandant aux pasteurs de s’imprégner de l’odeur des moutons, de n’être pas toujours en tête, de se placer au milieu d’eux…

Les bergers que je connais, surtout quand ils fabriquent leur fromage en montagne, n’ont pas beaucoup de mal à sentir la brebis. Pourtant ils ont, eux aussi, grandement amélioré leurs conditions de vie. Ils peuvent profiter de cabanes confortables, bien équipées, dotées de panneaux solaires qui leur offrent la possibilité de ne jamais être coupés de leur famille ou du reste du monde. Ils bénéficient même de transports héliportés qui laissent les vieux ânes au chômage technique !

Mais tous savent bien que ces améliorations technologiques ne remplacent en rien la longue expérience de ces hommes silencieux, parfois taciturnes, qui ne quittent jamais trop longtemps le troupeau de leurs yeux. Ils savent que les bêtes les plus anciennes prennent la bonne direction, qu’elles savent où se réfugier en cas de bourrasque ou de chaleur excessive, qu’elles n’ont pas besoin du berger pour choisir la bonne herbe ou s’abreuver dans des endroits précis. Par contre, le pasteur veille au danger, envoie les chiens pour éviter que quelque étourdie ne se perde, leur prépare un enclos protecteur pour la nuit, repère les dominantes et prend soin des plus faibles, sépare celles qu’il faut traire des autres et que sais-je encore…
La troupe des fidèles d’une paroisse a certainement besoin d’un curé qui utilise tous les outils modernes qui sont à sa disposition. Mais ces techniques ne sont pas neutres. Elles sont porteuses d’une culture, celle justement de managers et parfois de déménageurs. 

Berger, tu ne perds jamais ton temps à regarder vivre tes brebis, à les écouter et même à les suivre. Elles ont comme toi, et parfois mieux que toi, le « sens de la Foi. » Elles t’apprendront à être ce que tu es : un bon pasteur…

Disposez vite les petits moutons au premier rang de la crèche. Le Berger des bergers a besoin de les sentir près de Lui…

BON NOËL !