Publié dans La Croix 17-18 décembre 2011
Teilhard et l’incarnation du Christ
Henri Madelin, Service jésuite européen
Le P. Teilhard de Chardin n’a pas fini de féconder notre pensée et de stimuler notre foi, surtout en ce temps liturgique où grands et petits s’émerveillent en contemplant la crèche.
Le P. Martelet et le P. de Lubac ont su mettre en valeur l’originalité de sa présentation du mystère de l’incarnation (1). Ce jésuite, « pèlerin de l’avenir » , écrit, l’année de sa mort, dans le carnet de retraite qu’il tient fidèlement : « Je vais au-devant de Celui qui vient. » Comme Élie, comme le Christ dans l’Évangile, il appelle sur lui le feu, « le feu qui était au commencement », « le feu capable de tout pénétrer ».
Ce passionné de Dieu est en même temps un passionné du monde. Il a exploré et arpenté notre planète toute sa vie. Pour lui, les anciennes représentations de notre univers doivent s’effacer pour laisser place à une nouvelle vision qu’il a pressentie avant beaucoup d’autres et qui renouvelle toutes les dimensions de la foi pour le croyant d’aujourd’hui. Aux yeux de l’homme contemporain en effet, l’univers est un long processus d’expansion continue. Après avoir découvert l’espace dans la foulée d’hommes de science comme Copernic et Galilée, nous sommes en présence de deux abîmes, celui du passé et de l’avenir et celui de l’infime et de l’immense. La création postule, selon Teilhard, l’existence d’un centre unificateur ; on la voit se déployer comme « un grand geste continu, espacé sur la totalité du temps ; elle dure encore et, incessamment bien qu’imperceptiblement, le monde émerge au-dessus du néant », comme un « tout spécifique doué d’une puissance de développement organisé ». Le cosmos n’est pas figé dans un équilibre statique, il est le produit d’une Union créatrice, attirée vers un point de rencontre ultime appelé point Oméga et le Christ est « l’axe et le sommet » de cette « maturation » universelle.
C’est en suivant les lois de cette cosmogénèse que nous pouvons mieux comprendre ce que signifie pour nous la nativité du Christ. « Comme la création (dont elle est la face visible), l’incarnation est un acte coextensif à la durée du monde. » Pour Dieu, s’incarner dans un monde en évolution, c’est y naître. Or, comment y naître, sinon à partir d’une personne et au terme de longues préparations en Israël et de novations dans le cours des multiples civilisations et cultures humaines. D’où cette splendide méditation que l’on peut lire dans Mon Univers en 1924 :
« La petitesse du Christ dans son berceau et les petitesses bien plus grandes qui ont précédé son apparition parmi les hommes ne sont pas seulement une leçon morale d’humilité. Elles sont d’abord l’application d’une loi de naissance et, consécutivement, le signe d’une emprise définitive de Jésus sur le Monde. (…) Les prodigieuses durées qui précèdent le premier Noël ne sont pas vides du Christ, mais pénétrées de son influx puissant. C’est l’agitation de sa conception qui remue les masses cosmiques et dirige les premiers courants de la biosphère. C’est la préparation de son enfantement qui accélère les progrès de l’Instinct et l’éclosion de la pensée sur Terre. Ne nous scandalisons plus, sottement, des attentes interminables que nous a imposées le Messie. Il ne fallait rien moins que les labeurs effrayants et anonymes de l’homme primitif, et la longue beauté égyptienne, et l’attente inquiète d’Israël, et le parfum lentement distillé des mystiques orientales, et la sagesse cent fois raffinée des Grecs pour que sur la tige de Jessé et de l’humanité la fleur pût éclore. Toutes ces préparations étaient cosmiquement, biologiquement, nécessaires pour que le Christ prît pied sur la scène humaine. Et tout ce travail était mû par l’éveil actif et créateur de son âme en tant que cette âme humaine était élue pour animer l’Univers. Quand le Christ apparut entre les bras de Marie, il venait de soulever le Monde. »
Le Christ peut être appelé « Christ évoluteur » puisque l’incarnation se continue au fil des temps. C’est ce qu’annoncent saint Paul et saint Jean dans leurs écrits. C’est ce que précise Teilhard dans La Vie cosmique datée de 1916 : « Depuis que Jésus est né, qu’Il a fini de grandir, qu’Il est mort, tout a continué de se mouvoir parce que le Christ n’a pas achevé de se former. Il n’a pas ramené à lui les derniers plis de sa Robe de chair et d’amour que lui forment ses fidèles. Le Christ mystique n’a pas atteint sa pleine croissance, ni donc le Christ cosmique. L’un et l’autre, tout à la fois, ils sont et ils deviennent ; et dans la prolongation de cet engendrement est placé le ressort ultime de toute activité créée. Le Christ est le Terme de l’Évolution, même naturelle, des êtres ; l’Évolution est sainte. »
« L’attente, nous rappelle le P. Teilhard dans Le Milieu divin , est la fonction chrétienne par excellence. »
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