Mort et naissance à Noël. (Abbé Jean Casanave)
« J’ai du mal avec Noël, trop de deuils m’ont frappée dans cette période » me disent Christine et Anne. Deux jeunes enfants de mon canton passeront Noël sans leur papa et deux autres, bien près de moi, sans leur maman. Des dizaines de petits Centrafricains passeront un Noël d’orphelins… La mort, autrement dit le passage en l’autre Vie, n’est pas étrangère à la naissance….
Dans un effort de lucidité, ma raison peut admettre la mort, la mort en général. Les scientifiques diront qu’elle est la condition de la vie. Mais cette même raison s’insurge devant l’absurdité de la mort en particulier ; celle qui a pris un nom, celui d’un époux , d’une mère, d’un grand père. Qu’elle survienne à vingt ans ou à quatre vingt dix ans, nous avons le sentiment qu’elle nous vole quelque chose que l’on pouvait encore espérer, ne serait-ce que ces derniers mots que nous aurions encore voulu prononcer. Nous cognons sur le mur de l’absurde où il est écrit:
« Pourquoi la vie, si c’est pour mourir »! Et plus largement encore :
« Pourquoi de l’être pour ne pas être ! »
Le langage courant traduit bien ces deux attitudes devant la mort.
« C’est la vie » dit-on parfois pour en souligner la fatalité et presque la banalité; mais « plus rien ne sera comme avant », quand on en retient la perte irrémédiable qu’elle provoque.
Pour bien prendre la mesure du non sens que la mort oppose à toute entreprise humaine, il faut évacuer de notre esprit toutes ces banalités que nous échangeons en pareilles circonstances. Elles se veulent consolatrices, elles ne font que combler le vide qui nous apeure. Certains d’entre nous, plus courageusement, vont jusqu’à éliminer également toutes ces compensations imaginaires qui nous font rêver une après-vie. Ils se concentrent sur un seul impératif: donner un sens à la vie présente . Mais quel sens peut-elle avoir si le néant l’attend au coin du bois.
Il n’est pas étonnant, alors qu’une majorité de nos contemporains, et nous en faisons parfois partie, fermant délibérément les yeux sur l’avant et sur l’après, se réfugie dans la bulle de l’instant et n’observe qu’un seul commandement :
« profite du moment présent ». Un peu comme si les résultats obtenus par le génie de l’humanité, comme si le gigantesque effort des hommes et la somme de toutes les leurs souffrances accumulées, en étaient réduits à la jouissance de la cigarette du condamné. Ainsi mise à nue, la radicalité de la mort donnerait raison à l’auteur du livre de l’Ecclésiaste, qui ne cesse de répéter:
« De tout ce que j’ai vu sous le soleil, rien ne vaut la peine car tout est vain ». Malgré ce sombre diagnostic, l’homme, depuis son origine, refuse l’évidence du verdict.
Pour vaincre la précarité de son existence, il s’est donné des dieux censés lui apporter l’immortalité. Un spécialiste des religions a pu affirmer que l’homme était une machine à faire des dieux. Le sommet de cette entreprise a certainement été atteint dans l’Egypte ancienne.
Ces jours ci, à Pau , Akhenaton, Ramsès II, Toutankhamon et leurs sublimes épouses nous ont rendu visite par le truchement de splendides copies réalisées par le musée du Caire. Nous avons pu voir ce que l’humanité a inventé de mieux pour dire non à la mort, pour proclamer à la face de l’univers que l’homme n’était vraiment lui-même, que lorsqu’il mettait en œuvre cette idée d’infini, totalement incongrue, dont on ne sait d’où elle vient, qu’il porte en lui, alors que tout en lui et autour de lui est fini, limité, périssable. Et si l’homme était plus que l’homme, semblaient nous dire ces colosses de pierre, ces sarcophages dorés, ces visages immobilisés dans une beauté codifiée et à tout jamais immortalisés !
Sortant de l’exposition, je me demandais :
« Pourquoi le Dieu en qui j’ai mis ma foi n’a-t-il pas profité de ce moment inégalé de l’histoire pour s’incarner dans une de ces dynasties ? Le monde aurait été déjà à ses pieds ! Des preuves irréfutables de son existence et de son œuvre auraient survécu pendant 3000 ans et plus encore ! Mais pourquoi, aussi, ces dieux à l’image de l’homme me ressemblaient si peu ? »
C’est à côté, dans un peuple marginal que notre Dieu a vu le jour. Il a pris le visage d’un petit enfant, celui d’un homme qui passait, faisant le bien, il pris le masque du souffrant, il a poussé le râle du mourant. Rien à voir avec l’impassibilité des géants figés dans leur puissance. Comparé aux divinités fabriquées par nos intelligences, notre Dieu ne fait pas très dieu. Une mangeoire en guise de trône, un bâton de pèlerin lui sert de sceptre, il touche le lépreux, une croix souillée de sang à la place d’un sarcophage, un tombeau d’emprunt au lieu d’un mausolée.
Pourtant ce Dieu là n’est pas la caricature de l’homme. Il me ressemble. A relire son histoire dans l’Evangile, je vois que Jésus mon Seigneur a pris les mêmes chemins que les miens, s’est posé les mêmes questions que moi, a voulu soulager misère et maladie, nous a laissé un programme d’une vie autre. Malgré cela, la mort l’a suspendu au gibet. Que reste-t-il de lui ? Rien.
Rien ! Si ce n’est cette source inépuisable et divine de Vie et d’Amour qui nous transcende et qui fait que nous sommes là, pour offrir la gerbe de ces sommets et de ces creux qui ont fait cette vie. Nous sommes là, soutenant une maman meurtrie, consolant des enfants un peu perdus. Nous sommes là, non pour jeter un défi orgueilleux à la mort mais pour la plonger dans le bain d’Amour de Celui qui l’a vécue et vaincue pour en faire une nouvelle naissance.
Alors, en nous dégageant de nos idoles confortables et familières qui nous proposent une immortalité de pacotille, allons vers Noël, allons cueillir chez le pauvre de Bethléem, l’Amour qui, seul, peut faire fleurir les branches mortes de nos vies.
Heureux et beau Noël pour nos naissances à mourir et dans nos morts à naître…
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