10/05/2020

Aujourd'hui, le P. Jérôme de la Roulière, membre du Conseil national de l'Union Apostolique du Clergé (dont l'Abbé Barennes fait partie) et ancien rédacteur en chef de la revue, reprend pour nous une des lectures qui l'ont nourri durant ce temps de confinement.

Deux saints du diocèse de Poitiers en « confinement »

Chaque diocèse se nourrit du témoignage de ses saints locaux. À Poitiers , au XIXème siècle, Théophane Vénard et Joseph Coudrin apportent deux témoignages de la présence de Dieu auprès de ceux qui vivent enfermés. L’un apporte sa gaieté et l’autre sa maîtrise du temps dans la perte des repères.

La gaieté dans l’épreuve

Théophane Vénard , né à Airvault, a voulu partir missionnaire au Tonkin. Il y prêche pendant quelques années, est découvert, condamné, enfermé deux mois dans une cage, et décapité en 1861. Il écrit diverses lettres avec une fraîcheur évangélique, gardant sa gaieté dans la difficulté.

« Vous avez sans doute peine à comprendre comment, nous tenant cachés, sans cesse sur le qui-vive et en alerte, et nos têtes à prix d'argent, nous pouvons réaliser des fêtes et parler de paix. Moi-même je ne le comprends pas très bien. » (1856)

« Un léger coup de sabre séparera ma tête comme une fleur printanière que le Maître du jardin cueille pour son plaisir. Nous sommes tous des fleurs plantées sur cette terre que Dieu cueille en son temps, un peu plus tôt, un peu plus tard. » (20 janvier 1861)

Le temps de fondation

Joseph Coudrin affronte la tourmente révolutionnaire en restant dans le diocèse après son ordination secrète en 1792. Un parent l’accueille dans son grenier, près de Châtellerault. Il y reste confiné cinq mois. Au cours de sa réclusion, Coudrin voit un soir, dans des apparitions lumineuses, prêtres, frères et sœurs vêtus de blanc. Il a la vision d'un appel divin pour établir un ordre religieux qui va devenir la congrégation  des Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie.
Coudrin, ayant quitté ce grenier, voyage à Poitiers, rencontre Henriette Aymer de la Chevallerie et fonde la congrégation des Sacrés-Coeurs.
Son récit peut accompagner notre relecture des deux mois de solitude :

« Dans mon grenier, j’étais placé de manière que je ne pouvais pas me tenir debout. Je descendais quelquefois par une espèce de trappe dans le cabinet de Maumain (son cousin) où j’avais tout au plus trois pieds de large pour me promener. Le défaut d’exercice m’avait fatigué extrêmement. Ce que je mangeais était presque toujours froid par la difficulté de me l’apporter dans ma cache, ce qui gênait encore la respiration… Cependant pendant les cinq mois que j’y ai resté, je ne me suis pas ennuyé un seul instant. Tous les jours, je disais la messe à minuit et quoique j’eusse grand soin de purifier le corporal, je croyais toujours avoir laissé quelques parcelles des saintes espèces et avoir ainsi le Bon Dieu avec moi. Ma messe une fois dite, je montais dans mon grenier où je passais la journée à la lecture de l’Histoire ecclésiastique et à faire oraison.

Seulement quand Maumain revenait, je passais quelques temps avec lui. Il me disait souvent que tout allait revenir, que M. de Bouillé( l’évêque) devait tout réduire en cendres. Mais je lui disais de se désabuser ; que tout ne finirait pas de sitôt. « Mon cher ami, ajoutais-je, il ne faut pas vous y tromper. Tout ce qu’il y a à faire en ce moment, c’est de se donner au Bon Dieu. 

Je fus ainsi enfermé cinq mois entiers, sans pouvoir sortir, sans pouvoir me confesser. Mais le Seigneur m’avait fait la grâce de ne ressentir aucune inquiétude. Et je jouissais d’une grande paix de conscience. Il est certain que le Bon Dieu fait de grandes grâces dans ce moment-là. » Mémoires

Ce prêtre sorganise, trouve le bon rythme avec la messe et relativise la pauvreté de la nourriture. Il sinforme de la situation, écoute et conseille son cousin. Il ne minimise pas l’épreuve. Il ne lit pas la parole de Dieu mais une histoire sainte comme on le faisait à l’époque. Cest son ressourcement. Sa conclusion est claire «  Le Bon Dieu fait de grandes grâces en ce moment-là ».

Après 50 jours ou 9 semaines, nous voici sortis de cet isolement  relatif, avec le téléphone et internet. Que restera-t-il de ce temps, de ces heures passées sans le rythme trépidant du monde ? Un prêtre de Bordeaux a écrit un long poème :

Et après ?

Et tout s'est arrêté… Ce monde lancé comme un bolide dans sa course folle, ce monde dont nous savions tous qu'il courait à sa perte mais dont personne ne trouvait le bouton « arrêt d'urgence », cette gigantesque machine a soudain été stoppée net. À cause d'une toute petite bête, un tout petit parasite invisible à l'œil nu, un petit virus de rien du tout… Quelle ironie ! Et nous voilà contraints à ne plus bouger et à ne plus rien faire. Mais que va t-il se passer après ? Lorsque le monde va reprendre sa marche ; après, lorsque la vilaine petite bête aura été vaincue ? A quoi ressemblera notre vie après ? 

Nous voilà aux portes de cet après. À chacun d’être maître de sa vie et de saisir cette force pastorale qui nous fait conduire le troupeau hors de la bergerie, comme nous le disait lÉvangile dimanche dernier :
« Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir.
   Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête,
et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. » Jean 10,2

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